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Les opposants Ă lâA69 sous les feux des pro-autoroute
Ă la veille de la possible reprise des coupes dâarbre sur le chantier contestĂ© de lâA69, le niveau de violence monte. LâimpunitĂ© dont bĂ©nĂ©ficie le concessionnaire Atosca nourrit un climat oĂč les positions se radicalisent. Et oĂč les pro-autoroutes nâhĂ©sitent plus Ă agresser directement les opposant·es.
Emmanuel Riondé, 31 août 2024 à 11h46
Vendredi matin, 30 aoĂ»t, une opĂ©ration de gendarmerie a Ă©tĂ© menĂ©e Ă SaĂŻx dans le Tarn pour Ă©vacuer la Calâarbre, cette ZAD nĂ©e en fĂ©vrier oĂč se trouvaient des opposant·es au chantier de lâA69, entre Castres et Toulouse.
PlacĂ©e sous lâautoritĂ© de SeÌbastien Simoes, secreÌtaire geÌneÌral chargeÌ de lâadministration de lâEÌtat dans le Tarn depuis lâĂ©viction le 16 juillet dernier du prefet Michel Vilbois, lâopĂ©ration, dĂ©clenchĂ©e Ă lâaube, a mobilisĂ© « plus de 200 gendarmes et lâĂ©quipe spĂ©cialisĂ©e de la Cnamo (la cellule nationale dâappui Ă la mobilitĂ©, spĂ©cialisĂ©e dans le âdĂ©gagement dâobstacles complexesâ) ». En fin dâaprĂšs-midi, la prĂ©fecture a fait savoir que 10 personnes avaient Ă©tĂ© interpellĂ©es et que lâobjectif Ă©tait « atteint » bien que « quelques arbres » restaient occupĂ©s.
De fait, plusieurs « écureuils », ces militant·es qui se perchent pour empĂȘcher les abattages, nâont pas Ă©tĂ© dĂ©logé·es. En revanche, un homme dâune trentaine dâannĂ©e Ă©tait toujours Ă lâhĂŽpital dans un Ă©tat sĂ©rieux samedi matin, aprĂšs avoir chutĂ©, au dĂ©but de lâintervention, dâenviron 8 mĂštres du fortin Ă©rigĂ© dans « Bourg palette », poste avancĂ© de la ZAD. Selon lâune de ses camarades Ă son chevet, jointe par Mediapart, le diagnostic faisait Ă©tat hier soir de « 6 fractures sur trois vertĂšbres dont une sĂ©vĂšre ».
De quoi alourdir un peu plus lâambiance de veillĂ©e dâarmes qui rĂšgne depuis une semaine le long du chantier, alors que se rapproche le 1^(er) septembre, date Ă laquelle certaines coupes dâarbres sont de nouveau autorisĂ©es jusquâĂ la mi-novembre. Les opposant·es Ă lâA69, parmi lesquel·les figure ce blessĂ© sĂ©rieux, sont rĂ©guliĂšrement accusé·es par les promoteurs de lâautoroute de commettre des violences. En rĂ©fĂ©rence aux actes de sabotage, dont plusieurs, revendiquĂ©s ou non, ont Ă©tĂ© commis ces derniĂšres semaines sur le chantier. Notamment lâincendie dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 aoĂ»t, dâun coffrage destinĂ© Ă couler la pile dâun pont sur le chantier, Ă SaĂŻx. Deux jours plus tard, dimanche 25, une voiture de police municipale a Ă©tĂ© incendiĂ©e et un vigile pris Ă partie par quelques zadistes. Des faits toujours relayĂ©s avec gourmandise par les mĂ©dias locaux (ici ou lĂ ), notamment La DĂ©pĂȘche du Midi, qui ne cache plus son engagement en faveur de lâautoroute.
Les violences subies par les opposant·es sont, elles, bien moins médiatisées. Selon toutes les personnes interrogées par Mediapart, elles ont pourtant augmenté de façon trÚs préoccupante depuis le printemps.
Des cris et de la fumée dans la nuit
Deux faits qui auraient pu tourner au drame se sont ainsi produits au mois dâaoĂ»t. Le premier sâest dĂ©roulĂ© le 13 aoĂ»t au Bacamp (camp de base) lieu de convergence des opposant·es, non loin de la ZAD. « Dans la nuit, jâallais me coucher, il y a eu des cris puis de la fumĂ©e, du cĂŽtĂ© du parking, raconte Nick*, un zadiste opposĂ© Ă lâA69 qui se trouvait sur place cette nuit-lĂ , interrogĂ© par Mediapart. Quand je suis arrivĂ©, deux personnes venaient de se faire agresser par trois hommes qui Ă©taient repartis aprĂšs avoir incendiĂ© leur voiture et leur tente qui brĂ»laient devant nous. Lâune dâelle nous a expliquĂ© quâun agresseur lui avait mis quelque chose sous la gorge, un couteau ou sa main, dans lâobscuritĂ© et la panique, elle nâa pas su ce que câĂ©taitâŠÂ » Les personnes agressĂ©es, estimant quâelle nâont « rien Ă attendre de leurs bourreaux » (voir leur communication sur Instagram ), ont dĂ©posĂ© plainte pour des faits de dĂ©gradation de matĂ©riel. Le parquet de Castres a ouvert une enquĂȘte pour « dĂ©gradations par incendie et violences en rĂ©union ».
Dimanche 25 aoĂ»t, câest Alexandra, 44 ans, son compagnon, et leur fils de 4 ans qui ont Ă©tĂ© victimes dâun incendie criminel. La maison et le terrain quâils louent depuis plus de dix ans Ă Verfeil, situĂ©s sur lâemprise du tracĂ© de lâautoroute, ont Ă©tĂ© rachetĂ©s par Atosca, le groupement qui construit lâautoroute en vue de lâexploiter, en mars 2023. Mais Alexandra peut toujours se prĂ©valoir du bail signĂ© avec son prĂ©cĂ©dent propriĂ©taire, courant jusquâen novembre 2025. Au grand dam du concessionnaire qui, depuis, lui a fait plusieurs propositions officieuses de relogement et/ou dâindemnisation.
En mars dernier, craignant de voir dĂ©barquer chez elle des engins, elle accueille plusieurs « écureuils » qui sâinstallent dans les arbres et des tentes plantĂ©es dans le jardin. Dans la nuit de dimanche 25 au lundi 26 aoĂ»t, une « vingtaine » dâentre elles et eux Ă©taient lĂ . « Heureusement, souffle-t-elle au tĂ©lĂ©phone, la voix encore Ă©tranglĂ©e par lâĂ©motion. Ă 3 heures du matin, une copine partie aux toilettes sâest mise Ă crier en voyant un dĂ©part de feu sous les sapins, prĂšs de la route. Il y en avait deux autres sur des parties du terrain donnant sur le chantier. Tout le monde sâest levĂ©, on a rempli dâeau tout ce quâon pouvait, raccordĂ© des tuyaux et arrosĂ©. Quand les pompiers sont arrivĂ©s, on avait presque maĂźtrisĂ© les trois feux. Ils ont juste dĂ» remettre un peu dâeau sur un foyer enterrĂ© quâon arrivait pas Ă Ă©teindre. » Des bidons de 5 litres et des « petites bouteilles contenant une espĂšce de gel bleu » jonchent les alentours du terrain, raconte-t-elle. Le lendemain, Ă Balma, en banlieue de Toulouse, les gendarmes qui ont rĂ©cupĂ©rĂ© les bidons et bouteilles et notĂ© la plaque dâimmatriculation dâune voiture passĂ©e Ă plusieurs reprises dans la nuit devant chez elle, enregistrent sa plainte pour « destruction de bien dâautrui par moyens dangereux pour les personnes » et « tentative de meurtre ».
En rĂ©alitĂ©, la situation se dĂ©grade depuis des mois, raconte Alexandra qui avait dĂ©jĂ dĂ©posĂ© une main courante en juillet suite Ă lâintrusion chez elle, en son absence, dâagents de NGE, la maison mĂšre dâAtosca. « On a rĂ©guliĂšrement des coups de klaxons la nuit, des insultes et des jets de dĂ©chets dans le jardin depuis des voitures qui passentâŠÂ », dĂ©plore la femme qui dit ĂȘtre ressortie « complĂštement dĂ©faite » de la nuit de dimanche Ă lundi. « Au matin, jâĂ©tais comme une zombie. Je ne comprends pas cette bĂȘtise⊠Mon petit de 4 ans dormait, ça aurait pu ĂȘtre bien plus grave si les jeunes nâavaient pas Ă©tĂ© lĂ pour donner lâalerteâŠÂ »
Les insultes, les crachats, les menaces, « à la Calâarbre, on est habituĂ©s », tĂ©moigne Nick*, pour qui ce climat dĂ©testable Ă©tait « une trame de fond de la vie sur la ZAD ». Et ce, jusquâau bout : jeudi soir, veille de lâĂ©vacuation, « deux types habillĂ©s en mode militaire sont venus sur le talus pour tirer des rafales dâairsoft avant de repartir ».
Un durcissement perçu et racontĂ© par lâensemble des actrices et acteurs du mouvement dâopposition Ă lâautoroute. « Une camarade du collectif sâest rĂ©cemment fait arracher son appareil photo puis violemment bousculĂ©e par des vigiles dâAtosca sur le chantier, raconte Geoffrey Tarroux, membre du collectif La voie est libre (LVEL). Elle a dĂ©posĂ© plainte mais ça a Ă©tĂ© classĂ© sans suite ». Pour Marion, du collectif Puylaurens sans bitume, le tournant date de la mobilisation contre les projets autoroutiers, « Roue libre », qui sâest tenu les 7, 8 et 9 juin (voir notre reportage sur place). « Depuis, on constate une montĂ©e des tensions, observe-t-elle. Des villages sont scindĂ©s en deux, des gens ne se parlent plus. Nous avions des panneaux plantĂ©s dans le champ dâun membre du collectif, ils ont Ă©tĂ© violemment dĂ©terrĂ©s et jetĂ©s. Vu la rage avec laquelle ils ont tout arrachĂ©, on Ă©tait content de ne pas y ĂȘtre quand ils sont passĂ©sâŠÂ » Selon plusieurs sources, un quad a Ă©tĂ© observĂ© Ă plusieurs reprises entre Puylaurens et SaĂŻx ces derniers mois, tentant dâintimider des personnes qui se trouvaient Ă proximitĂ© du chantier. Une connaissance de Marion sâest fait « courser » par ce quad oĂč se trouvait deux hommes. « Il y a ce qui se dit aux informations mais aussi tous ces petits faits que les gens savent et qui font peur, tĂ©moigne Marion. Certains ont dĂ©jĂ prĂ©fĂ©rĂ© quitter le collectif, on craint que ça dĂ©gĂ©nĂšre, notre sentiment aujourdâhui, câest vraiment lâinquiĂ©tudeâŠÂ »
Le spectre de Sivens
Le 8 juin, alors que la manifâaction Roue libre rassemblait lâessentiel des forces militantes du cĂŽtĂ© de Puylaurens, deux quads, encore, puis des moto-cross sont passĂ©s devant la ZAD de la Calâarbre Ă une vingtaine de kilomĂštres de lĂ , raconte Nick* qui sây trouvait. « Ensuite, en plein aprĂšs- midi, un utilitaire est passĂ©, porte latĂ©rale ouverte avec un gars qui balançait un liquide inflammable vers nous avec une sorte de jet sous pression. Le passager a mis un coup de briquet, incendiant la haie, le pied des arbres et lâentrĂ©eâŠÂ », poursuit-il.
« Parasites », « voyous », « écoterroristes » ou « puent-la pisse », sur les rĂ©seaux sociaux, la sĂ©mantique Ă laquelle recourent les pro-autoroute pour qualifier les opposant·es est au niveau. Et Ă chaque action de sabotage, le ton monte. « Je pense que ça ne peut pas finir autrement quâavec un drame sâil nây a pas de moratoire, sâinquiĂšte Geoffrey Tarroux*. Le niveau de frustration aujourdâhui est extraordinaire. Si lâĂtat Ă©tait un peu scrupuleux sur lâenvironnement, Atosca paierait trĂšs cher pour toutes les mises en demeure non respectĂ©es, les manquements, les retards cumulĂ©s aux Ă©tapes clefs du projet⊠Mais rien ne se passe. On nous accuse de violences alors quâon vit au quotidien sur un territoire dĂ©vastĂ© par une entreprise qui ne respecte aucune dĂ©cision de justice⊠Et on nâentend jamais nos grands Ă©lus, Delga (prĂ©sidente de la RĂ©gion Occitanie), Ramond (prĂ©sident du DĂ©partement du Tarn) ou Carayon (maire de Lavaur) dĂ©noncer le non respect par Atosca des mises en demeure dont il fait lâobjet »,* sâĂ©trangle-t-il. Des Ă©lus prompts, en revanche, Ă hurler Ă la violence de « lâultra-gauche » au moindre rassemblement anti-autoroute.
Claire Dujardin, avocate de militants zadistes de Sivens et de la famille de RĂ©mi Fraisse, ce jeune militant tuĂ© le 26 octobre 2014 par la police lors dâune manifestation sur le site, connaĂźt ce schĂ©ma. « à Sivens, des agriculteurs et des riverains sâĂ©taient organisĂ©s en milice, Ă visage dĂ©couvert, rappelle-t-elle. Et de maniĂšre assez parallĂšle Ă ce que lâon voit aujourdâhui sur lâA69, on avait des Ă©lus qui chauffaient leurs troupes contre les zadistes. Un sentiment dâimpunitĂ© sâest dĂ©veloppĂ© avec un discours du type "on est sur nos terres, les autoritĂ©s nous soutiennent mais la justice est trop laxiste, faisons le boulot ". On a le sentiment que 10 ans plus tard, le mĂȘme scĂ©nario est en train de se rĂ©pĂ©ter sur lâA69. En espĂ©rant que ça ne se terminera pas de la mĂȘme façonâŠÂ »
Le prĂ©sident dâAtosca Martial Gerlinger nâa pas rĂ©pondu Ă notre demande dâĂ©change. InterrogĂ©e sur le positionnement de lâentreprise par rapport aux graves attaques dâopposants observĂ©es ces derniĂšres semaines, son attachĂ©e de presse nous a fait savoir par texto que « Atosca condamne toute forme de violences, comme celles dont sont victimes nos salariĂ©s, nos partenaires, notre outil de travail depuis des mois. »
Les arbres de la ZAD sont toujours protégés
La ZAD de la Calâarbre se trouve sur le parcours de lâA69 en construction, dâoĂč son rĂŽle stratĂ©gique de blocage des travaux pour les opposant·es. Mais lâarrĂȘtĂ© prĂ©fectoral dâautorisation des chantiers impose un calendrier strict pour lâabattage des arbres qui sây trouvent et la destruction des terres. Deux espĂšces protĂ©gĂ©es y ont Ă©tĂ© repĂ©rĂ©es : le Grand Capricorne, un colĂ©optĂšre dont les larves vivent dans les troncs des vieux chĂȘnes, et le trĂšfle Ă©cailleux, qui prospĂšre dans la prairie qui les entoure.
Les arbres ne peuvent ĂȘtre coupĂ©s sans le diagnostic dâexpert·es disant Ă quel endroit du tronc le faire. Or cette analyse nâa pas Ă©tĂ© faite. SollicitĂ©e par Mediapart, la DREAL Occitanie, le service dĂ©concentrĂ© du ministĂšre de lâĂ©cologie, a affirmĂ© vendredi 30 aoĂ»t quâ « aucun document modifiant le protocole dâabattage des arbres prĂ©vu Ă lâarrĂȘtĂ© dâautorisation environnementale du 1*^(er)* mars 2023 et aucune nouvelle autorisation de coupe dâarbre nâa Ă©tĂ© accordĂ©e par la DREAL ».
Quant au trĂšfle Ă©cailleux, il faut attendre quâil soit en fleur pour le transplanter ailleurs, soit en avril-mai prochain, prĂ©cisent Les Amis de la Terre de Midi-PyrĂ©nĂ©es